La Loi portant sur l’évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, dite « Loi Elan », contient un certain nombre de dispositions qui visent à diminuer les litiges liés à l’urbanisme qui engorgent les tribunaux et ralentissent les projets de construction. Voici un panorama des mesures que vous devez connaître…
Loi Elan : le point sur contentieux de l’urbanisme
Les litiges liés à la contestation d’un projet d’urbanisme se caractérisent par de longs délais de jugement, impliquant des retards de construction, et par un nombre élevé de recours considérés comme abusifs. Ainsi, selon un rapport de la mission d’inspection des juridictions administratives de décembre 2015 :
- près d’1 million d’autorisations d’urbanisme sont délivrées chaque année, dont 1,2 à 1,6 % fait l’objet de recours en justice ;
- les délais moyens de jugement sont de 23 mois devant les tribunaux et de 17 mois supplémentaires en cas d’appel ;
- moins d’1/4 des tribunaux administratifs concentrent 42 % des actions en justice relatives aux autorisations d’urbanisme, ce qui aboutit à une situation d’engorgement de ces juridictions administratives ;
- la Fédération des Promoteurs Immobiliers estime qu’environ 30 000 constructions de logements sont bloquées par des recours abusifs.
La Loi Elan comprend un certain nombre de mesures visant à sécuriser les autorisations d’urbanisme pour faciliter la construction et désengorger les tribunaux.
Clarification de la prescription décennale
Tout d’abord, la Loi Elan clarifie un point de la réglementation : jusqu’à présent, la Loi prévoyait que le délai de prescription de 10 ans, au terme duquel une autorisation d’urbanisme ne peut plus être remise en cause, ne valait pas pour les constructions réalisées sans permis de construire (PC).
La Loi Elan précise que ce délai de 10 ans ne vaut pas pour les constructions réalisées sans PC « alors que ceux-ci sont requis ».
Cette réécriture a pour but de prévoir expressément et clairement que les constructions ne nécessitant pas de PC, comme par exemple les travaux soumis à déclaration préalable, restent soumises à la prescription décennale.
Effets de l’annulation ou de l’illégalité d’un document d’urbanisme
La Loi Elan prévoit que l’annulation d’un document d’urbanisme (SCoT, PLU, POS, carte communale, etc.) n’entraîne pas de conséquences sur la validité des autorisations d’urbanisme attribuées sur la foi des règles prescrites par ce document d’urbanisme annulé.
Il faut toutefois qu’une condition soit remplie : il est nécessaire que le motif de l’annulation du document d’urbanisme soit étranger aux règles d’urbanisme qui ont permis de délivrer l’autorisation d’urbanisme.
Extension du pouvoir d’action en démolition du Préfet
Un Préfet peut saisir la justice, en vue d’une action en démolition d’un bien immobilier, via la procédure dite de « déféré préfectoral », du fait de la méconnaissance des règles d’urbanisme ou des règles de servitudes d’utilité publique non régularisables.
Cette démolition n’est alors possible que :
- si le permis a été annulé pour « excès de pouvoir » par le juge ;
- si la construction est située dans une zone protégée comme, par exemple :
- ○ les espaces, paysages et milieux caractéristiques du patrimoine naturel et culturel montagnard ;
- ○ la bande de 300 mètres des parties naturelles des rives des plans d’eau naturels ;
- ○ les réserves naturelles ;
- ○ les sites désignés Natura 2000.
La Loi Elan prévoit qu’un propriétaire pourra désormais être contraint de démolir son bien immobilier si le Tribunal a été saisi par le Préfet du département, via un « déféré préfectoral », même si le bien immobilier est situé en dehors d’une zone protégée.
Pouvoir d’agir en justice des associations
Jusqu’à présent, une association pouvait agir en justice contre une autorisation d’urbanisme seulement si le dépôt de ses statuts en Préfecture était intervenu antérieurement à l’affichage en Mairie de la demande du bénéficiaire de l’autorisation.
La Loi Elan prévoit qu’il faut désormais que les statuts aient été déposés au moins 1 an avant l’affichage, en Mairie, de la demande du bénéficiaire de l’autorisation.
Modification de la notion d’intérêt pour agir
La Loi Elan vise expressément les « autorisations d’urbanisme » pour qu’elles soient toutes contestables pour « excès de pouvoir » en justice afin d’intégrer, par exemple, les déclarations préalables de travaux (auparavant, la Loi faisait seulement référence aux permis de construire, de démolir et d’aménager).
Encadrement du référé-suspension contre une décision d’urbanisme
Aux termes de la Loi, tout recours contre un permis de construire (PC) ou un permis d’aménager, qui ne concerne pas un problème de forme (on parle alors de recours « au fond »), peut être assorti d’une demande de suspension du permis : c’est le « référé-suspension ».
Toutefois, la réglementation n’encadre pas dans le temps le dépôt d’une telle demande. Par conséquent, un référé-suspension peut être introduit bien après le début des travaux.
La Loi remédie à cette conséquence négative et limite le délai durant lequel un référé-suspension peut être déposé. Dorénavant, celui-ci ne peut être déposé que « jusqu’à l’expiration du délai fixé pour la cristallisation des moyens soulevés devant le juge saisi en premier ressort ».
En clair, il s’agit de la date limite fixée par le juge pour l’invocation de nouveaux arguments par les parties, afin qu’il puisse prendre sa décision.
Autre modification à connaître : le rôle du juge dans la mise en œuvre du référé-suspension est majeur. Il peut, par exemple, suspendre les travaux si l’urgence est avérée et s’il existe un doute sérieux quant à la légalité de l’autorisation d’urbanisme.
Une fois que la demande de référé-suspension est déposée, le juge a 1 mois pour prendre sa décision. S’il a un doute sérieux sur la légalité de l’autorisation d’urbanisme, les travaux sont alors suspendus dans l’attente du jugement final (c’est-à-dire d’une décision prise « au fond »).
La demande de suspension des travaux peut également émaner de la Préfecture, de la Mairie, ou de l’intercommunalité dans le cadre d’un « déféré-suspension ». La condition d’urgence est alors présumée remplie et le juge a 1 mois pour prendre sa décision.
Sachez que la Loi Elan instaure une présomption générale d’urgence pour les référés-suspension en matière d’urbanisme.
Ces 2 mesures de la Loi Elan visent à limiter les dépôts tardifs de référé-suspension et à accélérer leur traitement afin de permettre d’écarter rapidement les requêtes considérées comme non-sérieuses et de limiter ainsi les situations de blocage de travaux.
Extension de l’annulation partielle d’une autorisation d’urbanisme
Jusqu’à présent, le juge pouvait annuler partiellement un projet de construction ou d’aménagement lorsque seule une partie du projet était illégale.
Cette faculté d’annuler partiellement une autorisation d’urbanisme devient une obligation avec la Loi Elan. Toutefois, le juge peut refuser une demande d’annulation partielle, à condition de le justifier.
Un juge avait également la faculté de « surseoir à statuer » (c’est-à-dire de reporter sa décision) lorsque l’illégalité d’un permis de construire, d’aménager ou de démolir était régularisable. Désormais, le juge a l’obligation de surseoir à statuer (un refus devra là aussi être justifié). Notez que la régularisation peut intervenir alors même que les travaux ont été achevés.
Sachez également que ces 2 procédures sont désormais applicables aux déclarations préalables.
Encadrement des recours abusifs
Depuis le 19 août 2013, le bénéficiaire d’une autorisation d’urbanisme contestée peut demander à ce que le contestataire (qui n’a pas obtenu gain de cause) soit condamné à l’indemniser. Cette demande, qui peut être présentée pour la 1ère fois en appel, nécessite que 2 conditions soient réunies, à savoir qu’il faut que :
- le recours excède les intérêts légitimes du contestataire ;
- le recours cause un préjudice excessif au bénéficiaire.
Dans les faits, ce dispositif a jusqu’ici été très peu utilisé et seulement pour des sommes relativement modestes car la notion de « préjudice excessif » doit être prouvée par le bénéficiaire de l’autorisation, ce qui est souvent difficile, cette notion étant floue.
C’est pourquoi la Loi Elan supprime les 2 conditions précitées et les remplace par la notion de « comportement abusif ».
En outre, jusqu’à présent, lorsqu’une association régulièrement déclarée et ayant pour objet principal la protection de l’environnement était l’auteur d’un recours, elle était présumée agir dans les limites de la défense de ses intérêts légitimes. Cette présomption est supprimée.
Renforcement de l’obligation d’enregistrement des transactions financières
Toujours depuis le 19 août 2013, une personne qui demande au juge d’annuler un permis de construire, d’aménager ou de démolir, peut se désister en contrepartie du versement d’une somme d’argent ou d’un avantage en nature.
Ce désistement est matérialisé par la signature d’une transaction financière enregistrée au service de la publicité foncière.
La Loi Elan prévoit que cette obligation d’enregistrement des transactions financières vaut également pour celles conclues avant même le dépôt d’un recours en justice.
En outre, la Loi Elan prévoit que les transactions conclues avec des associations ne peuvent pas avoir pour contrepartie le versement d’une somme d’argent, sauf lorsque les associations agissent pour la défense de leurs intérêts matériels propres.
Cette disposition entrera en vigueur le 1er janvier 2019.
Source : Loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (article 80)
Loi Elan : focus sur les litiges liés à l’urbanisme © Copyright WebLex – 2018